There's a hole in my pocket.

«Bonjour. Je m'appelle Violet. J'ai vingt-deux ans, et je souhaiterais entreprendre ici des études de langues. Mon but premier est de devenir traductrice, mais je suis prête à accepter pleins d'autres jobs le temps de devenir apte à traduire les plus grands textes classiques ou contemporains. (J'ai une extinction de voix, car il m'arrive de m'amuser plutôt que de travailler, de temps à autre; vous devinerez aisément qu'hier, j'étais à un concert.)» La jeune fille reposa sur le bureau son crayon à papier, et tendit la feuille à la femme assise face à elle avec un sourire franc. Ses yeux bleus étincelaient tandis que l'examinatrice lisait le court billet. Un fin sourire tranchant apparut sur ses lèvres maquillées de rouge sang. Elle leva son regard orné de lunettes noires et rectangulaires, strictes, et observa la blondinette à l'aspect chétif qui se tenait face à elle. Venant d'une quelconque fillette, cette démarche l'aurait arrachée de ses gonds de femme respectable. Lentement, elle se leva, son tailleur gris se fondant avec le mur. Violet ne cilla pas, suivant le mouvement du faciès de l'examinatrice. Elle savait qu'elle n'aurait pas du aller à ce concert, hier, parce qu'elle passait un entretien déterminant pour son avenir. Seulement, elle s'était tant amusée qu'elle ne parvenait pas à le regretter. La femme relut une dernière fois le papier puis le posa sur le bureau. Elle hocha la tête une fois, une unique fois. Il fallait savoir saisir les chances de la vie. Violet sortit de la salle en marchant droit comme un i. Arrivée au dehors, elle se mit à gambader comme une folle, au bord de l'euphorie. Si sa voix n'était pas hors d'usage à cet instant, elle aurait sûrement réveillée la vieille femme qui faisait la sieste à l'autre bout de la rue. Elle s'assit sur un banc public, essoufflée. De l'autre côté du mur, la femme en gris observait cette silhouette pleine de jeunesse. Devant elle, elle tenait le dossier de Violet Elizabeth Sisyphe. Il était noté, en rouge, "Excellente élève excentrique et motivée. Vous donnera du fil à retordre et du bon temps, des crises d'urticaires et de grandes joies. Revient d'un long voyage en Amazonie. Acceptez-la." Puis, au dessous ; "Pour son vrai dossier, ouvrir la pochette." La femme ne l'avait pas fait.
Allongée dans l'herbe verte du parc municipal, Violet ferma les yeux. La chaleur du soleil lui arrivait doucement sur le visage tandis qu'elle pensait à tout. Tout, c'était aussi bien que rien, puisque ça englobait plus ou moins la même chose. Elle pensait à l'université qui venait de l'accepter alors qu'elle avait présenter un dossier et un entretien plutôt bizarre. Elle pensait à sa mère, à son père, qui n'en savaient rien. Elle pensa à son voyage dans la plus belle forêt du monde. Elle pensa au temps, qui passe si vite. Et si lentement, quand on se vautre dans la douleur. Elle pensa à son frère. Elle pensa à la drogue. Elle pensa à son ukulélé. Elle pensa à se relever, songea à rentrer, s'allongea confortablement dans son lit pour lire son journal intime, une fois de plus. Elle l'ouvrit à une page où l'on pouvait observer une multitude de croix désordonnées. Elle attrapa un feutre rouge, et raya avec rage les lignes non rédigées. Puis elle tourna les pages, jusqu'à arriver à cette date fatidique, deux ans plus tôt. Elle venait d'avoir son bac, avec certes deux ans de retard ; parce qu'il avait fallut qu'elle fasse trois CP, vous comprenez, parce que mademoiselle refusait d'apprendre à lire. «AOUT; bac mention bien - greg mort - trahison - exil.Ce mois-ci, il est arrivé de grandes choses. J'ai reçu mon diplôme du BAC, j'ai eut mention bien. Je suis un tout petit peu déçue de ma note en philo. Je trouve idiot leur système, puisqu'ils ne nous renvoient pas le devoir corrigé. Sales cons. Et puis Gregory s'est tué. Parait que c'était pas lui. Tu sais, il a sauté d'une fenêtre, mais il pensait qu'il allait arrivé dans un champ de fraises. Ouais, il était sous acide. Et ses connards d'amis, ils ont même pas été foutus de l'en empêcher. Putain, mais j'aurais du être avec lui plutôt qu'en train de bucher sur ce foutu baccalauréat de mes deux. Et les parents auraient put réagir, hein. J'ai pas arrêter de le leur répéter, que leur gosse ne savait pas où étaient les limites. Ces enfoirés ne s'en rendaient même pas compte. Ça faisait bien quatre à six mois qu'il devenait accro, mon frère. J'ai bien essayé, de causer à ses amis. Connards. Moi, ya trois ans, quand j'avais leur âge, je le SAVAIS, qu'il fallait qu'au moins une personne reste clean. DÉBILES MENTAUX ! Maintenant, j'suis toute seule. J'ai même pas été capable de garder mon putain d'frère en vie. Société de merde. J'm'en vas. Vouais, j'me casse ! Loin.» Une larme échappa à la jeune fille qui referma le cahier d'un claquement sac. Ouais, elle était partie. Loin, au fin fond du monde. Elle avait vu tout un tas de trucs que les gens d'ici n'imaginent même pas. N'empêche, ça devait être dans son sang, parce que dès qu'elle était revenu à Bordeaux, elle avait repris un rythme de citadine. En apparence tout du moins, parce qu'il n'était pas question -ah non, même pas en rêve- qu'elle se laisser formater la cervelle par cette société pourrie. Violet, c'était une putain de révolutionnaire, trop flemmarde pour faire la révolution autre part que dans sa tête. Mais c'était déjà ça.